dix-huit mois de recherche-action au sein d’une résidence sociale, artistique et temporaire à Strasbourg

12 ¦ 2019
Médiations

Analyse des pratiques de médiation au sein du rez-de-chaussée

12 ¦ 2019 · Médiations Bifurcations vers la médiation sociale
En questionnement L'adaptabilité de la mission au rez-de-chaussée
Illustration Moment collectif – Cour de l’Odylus, août 2020
Auteur·e·s Audeline, membre d’Horizome, stagiaire en médiation sociale à l’Odylus du 3 au 14 décembre 2019

↘  L'Odylus accueille une grande diversité de personnes entraînant une cohabitation pluri-générationnelle et multiculturelle. Cette diversité peut être enrichissante pour certains habitant·e·s tout comme exaspérante pour des profils dépendant de calme et de tranquillité. Le tout entraînant des tensions de plus en plus palpables entre certains résident·e·s.

Contextualisation d'un conflit latent

Lors de mon arrivée à Odylus, mon tuteur de stage, Thomas, m’a mise en garde concernant plusieurs tensions entre les résident·e·s. En effet, j’ai pu le constater de mes yeux en allant à la rencontre de quelques personnes descendues prendre un café ou fumer une cigarette. Celles-ci m’expliquèrent qu’avant elles prenaient beaucoup de plaisir à partager des moments avec Horizome mais que ces moments de plaisir ont disparu dès lors que les enfants se sont sentis « à l’aise » dans la structure. En effet, le collectif leur permet de s’amuser au rez-de-chaussée avec des jeux comme le baby-foot, le ping-pong, des jeux de sociétés, il y a aussi une télé dans le salon où ils peuvent se poser. Mais sans surveillance d’adulte et ne se sentant pas responsable du matériel qui leur était fourni, ceux-ci ont commencé à détériorer le matériel dans le salon (canapé, fauteuils déchirés, découpés), mais aussi les jeux (raquettes de ping-pong, balles de baby-foot), ce qui a beaucoup agacé de nombreux résident·e·s qui aimaient passer du temps en bas.

Je reprends les dires des résident·e·s car d’après certains jeunes adultes, qui étaient les grands frères des enfants pointés du doigt, il y avait parfois des adultes le soir qui entraient dans le rez-de-chaussée et détérioraient également le matériel. Nous avions à faire à un conflit non-réaliste, de personnes dégradant la matériel qui était mis à disposition de toustes, pour des raisons inconnues. La majorité des résident·e·s accusaient les enfants mais à mon sens, il s'agissait d'hypothèses non-assurées, personne n’était sûr de rien.

Le problème adulte-enfant se faisait sentir de plus en plus et les réunions de l’association l’Étage n’y changeaient rien. Plainte du bruit dans les couloirs, des cris, des jeux, de la vie tout simplement, le problème était la cohabitation entre adultes et enfants. Les tensions allaient de plus en plus loin au point que certain·e·s résident·e·s se permettaient de confisquer les jouets des enfants lorsque ceux-ci les utilisaient car ils faisaient du bruit.

Je me posais beaucoup de questions concernant les enfants et leur rapport avec les adultes. Comment faire pour que les résident·e·s n’interviennent pas dans leur éducation ? Si ce sont réellement elles·eux qui détruisent le matériel, pourquoi ont-ils besoin de détruire ce qui leur permet de se divertir ? Est-ce qu’ils vont bien ? Est-ce qu’ils se sentent à leur place ici ? De par mon expérience personnelle, je crois que le matériel est dégradé par ennui. Est-ce que les deux associations se sont appuyées sur la question du bien-être des enfants à Odylus ? Et de manière plus globale, de quelle manière mettre en application un accompagnement adapté aux personnes accueillies afin de favoriser leur bien-être ? C'est à cette dernière question que j'ai essayé, de mon point de vue, de répondre.

Des pratiques de la médiation

Les personnes logées à Odylus sont des personnes que le 115 a placées. Bon nombre d’entre eux ·elles ne désirent pas partager leur chambre avec quelqu’un et encore moins cohabiter avec des enfants.

Concernant les associations, aucune des deux n’étaient préparées à accueillir autant d’enfants. L’association l’Étage accompagne des adolescent·e·s et jeunes adultes dans leur intégration sociale et Horizome gère des publics diversifiés mais seulement en intervention, ils n’ont pas l’habitude de faire un suivi prolongé. Aucune des deux associations ne s’est appuyée sur la question du bien-être des enfants, celle-ci n’étant pas une priorité pour eux. En effet, la priorité de l’Étage est de trouver un logement le plus vite possible aux bénéficiaires. Horizome est spécialisé sur l’aspect culturel, la gestion des problèmes de cohabitation n’est pas leur domaine de prédilection mais il était temps pour eux de dépasser l’aspect artistique pour comprendre réellement la source des tensions et intervenir avant que celles-ci ne se manifestent réellement et instaurent une atmosphère encore plus pesante et électrique au sein de la structure.

Malgré le fait que l’Étage soit spécialisé dans l’aspect social et le gère par le biais de rendez-vous individuels avec les résident·e·s mais aussi de réunions, Thomas, mon référent de stage, architecte et référent de Horizome à Odylus, a décidé d’organiser deux réunions en espérant qu’au cours de celles-ci une solution soit trouvée pour retrouver un climat plus détendu et agréable. Ces réunions visaient à déterminer les éléments qui permettraient de redynamiser le rez-de-chaussée en trouvant des solutions aux problèmes sous-jacents. En parallèle, Thomas nous avait missionnées, Madeleine (volontaire en service civique) et moi, pour créer des questionnaires dans lesquels nous évaluerions le bien-être des résident·e·s et la manière de le faire évoluer au sein du rez-de-chaussée en demandant des activités qu’iels souhaiteraient pratiquer.

On a alors utilisé deux modes d’échanges avec les résident·e·s : – la réunion qui peut être bénéfique pour les personnes les plus aptes à s’exprimer en public ;
– des questionnaires, que nous avons utilisés à l’oral en tête-à-tête avec les résident·e·s volontaires. Nous avons aussi traduit ces questionnaires en russe et arabe et les avons imprimés dans ces langues et en français pour les personnes les plus difficiles à croiser et celles avec qui l’échange en français et anglais est impossible. Ces réunions complétées par les questionnaires ont permis à Horizome de faire un bilan intermédiaire afin de déterminer quels changements seraient bénéfiques aux résident·e·s. Elles ont permis à chacun·e d’exprimer son point de vue et son ressenti au sein de la structure.

Finalement, en termes de bilan, nous nous sommes rendus compte que le divertissement culturel (les propositions faites par les artistes alors en résidence) n’avait plus sa place au sein de la structure car les résident·e·s, même en sachant que Horizome n’avait aucun impact sur leurs problèmes sociaux, exprimaient toustes leurs angoisses concernant la fin d'Odylus en octobre 2020. IEls étaient tous d’accord sur ce point : « Nous on s’en fiche des activités artistiques, nous tout ce qu’on veut c’est avoir un toit ».

Là-dessus, Horizome a pu directement rebondir et proposer de mettre à disposition un ordinateur afin que les bénéficiaires puissent faire leurs démarches administratives sur internet et ne pas perdre de temps à aller dans chaque service public. Sur cette période, Thomas, dont le rôle était de faire le lien entre artistes et résident·e·s, a totalement remis en question les objectifs de la mission confiée à Horizome en s'adaptant aux besoins des résident·e·s. Celleux-ci furent satisfait·e·s d’être écouté·e·s. Il ne manquait plus qu’à mettre en place les solutions proposées.

L'absence d'un conseil des résident·e·s à Odylus

Pour répondre à notre question de fond, soit, pour rappel : « De quelle manière mettre en application un accompagnement adapté aux personnes accueillies afin de favoriser leur bien-être ? », il me fallait d’abord comprendre comment déterminer les besoins des bénéficiaires, sans que celleux-ci ne soient influencé·e·s par ce qu’exige la société.

L’article « Errance institutionnelle, SDF et grands exclus » paru dans la revue sociologique Le sociographe et écrit par Sébastien Chardin (2012), éducateur spécialisé, m'a semblé pertinent à exploiter afin d’apporter des éléments de réponse. Il m'a permis de confronter les situations pour mieux analyser celle d'Odylus.

L’article traite des possibles facteurs d’errance institutionnelle des SDF, qui seraient dûs, dans un premier temps, à l’égalité entre tous les bénéficiaires de structures d’hébergement, et dans un second temps, à la différence entre les réels besoins des usager·ère·s et ceux estimés par les travailleurs sociaux. Il explique comment penser autrement l’accompagnement des usager·ère·s afin de ne pas finir dans une errance institutionnelle.

Je me suis appuyée surtout sur le second point dans lequel l’éducateur explique que ce phénomène d’errance peut être la conséquence de projets établis par les normes institutionnelles dans lesquels le bénéficiaire ne se retrouve pas (stabilité, métier, appartement ou projet artistique concernant Horizome) :

 « Ainsi, soumis à des contraintes institutionnelles et à la dictature du projet, les travailleurs sociaux, afin de répondre de leur travail, tendent d’adapter le projet de la personne à un projet répondant aux objectifs chiffrables et temporels souhaités (à demi-mot) par les institutions. »
→ p. 55

Lors de mon entretien avec mon tuteur, celui-ci m’a expliqué son désir d’intégrer un nouveau format de réunion permettant d'entendre et de comprendre les réels besoins des résident·e·s pour agir face aux situations. Il me semble qu’avec du recul, le format de réunion qu'a proposé Thomas avec les résident·e·s sur la période de mon stage, ressemblait au conseil de vie sociale (CVS) dont parle Sébastien Chardin car les bénéficiaires pouvaient débattre en commun de leurs besoins :

 « Ces conseils ont permis de donner une voix aux personnes que nous accueillons et de prendre en note, de manière collective, leurs attentes et/ou leurs demandes. »
→ p. 56

Même si au départ, Thomas restait axé sur son ordre du jour : « Comment redynamiser le rez-de-chaussée ? », à force de laisser la parole libre, le débat a commencé à changer de sens. Les personnes se sont montrées honnêtes. Malgré un début de débat timide, celleux-ci se sont librement exprimé·e·s en expliquant que leur absence de motivation à participer à la modification des salles du rez-de-chaussée était uniquement due à leur angoisse de se retrouver à la rue.

Horizome a compris qu’il fallait repenser leur projet et l’adapter à la demande des résident·e·s à la manière de Sébastien Chardin :

 « Cette approche […] a en effet permis de faire entendre la parole et le désir des personnes que nous accueillons au quotidien et ainsi de réadapter aussi bien notre manière de les accompagner que de redéfinir la relation que nous entretenons avec elles. »
→ p. 57

Au final, cet article m'a surtout permis de comprendre l’importance de la collaboration entre les dits « bénéficiaires » et les dits «acteur·rice·s d’association» afin de déterminer un projet personnalisé plus juste vis-à-vis des aspirations des personnes.

 « Bien que la société exige des normes, il me semble qu’il faut accepter que d’autres normes existent et que la stabilité sociale exigée par les institutions ne soit pas nécessairement un besoin primordial pour certaines personnes. »
→ p. 57

Conclusion

Lorsque je suis arrivée à Odylus, je me suis sentie très rapidement à ma place. Dans l’équipe Horizome, tout le monde est égal, chacun peut apporter ses idées, chacun sera légitime à être écouté. J’ai été très heureuse de découvrir officiellement la relation horizontale dont on me parle depuis plusieurs mois au sein de mes cours en DEUST Médiation. Chaque idée que je pouvais avoir était prise en compte et même appliquée. Chaque membre du collectif était en attente de nouvelles idées, de partage, il n’y avait aucune hiérarchie ressentie.
Cette expérience de stage m’a permis de me plonger dans le milieu professionnel du travail social et de découvrir la médiation sur le terrain. Bien que l’association Horizome soit axée sur la médiation culturelle et artistique, j’ai pu découvrir tous les enjeux sociaux qui se cachaient derrière ces aspects. L’importance de valoriser le bien-être des bénéficiaires à travers l’art est l’enjeu le plus important de cette association.
Elle m’a également permis de comprendre à quel point la remise en question de projet et de soi-même est importante et surtout l’adaptation face aux différents profils. Bien que Horizome propose des projets bien précis, les référent·e·s arrivent à s’adapter aux besoins des résident·e·s et ils acceptent de sortir de leur zone de confort pour devenir des renforts. Par ailleurs, je ressens une forme de frustration à n’avoir pratiqué ce stage que durant deux semaines. En effet la création de lien social avec certains profils peut se faire assez lentement et je n’ai su gagner la confiance de quelques usager·ère·s qu’à la fin de mon stage.  ↙

♥ CHARDIN, Sébastien Errance institutionnelle, SDF et grands exclus.
Le sociographe, 2016/1 n°53, pages 49 à 60 consulter